mercredi 20 décembre 2006

Publicité en faveur de l'alcool : sommaire commenté - Cass. crim. 19 décembre 2006

Prive sa décision de base légale au regard de l'article L. 3323-4 du code de la santé publique la cour d'appel qui ne retient pas le caractère illicite d'une publicité pour un whisky alors qu'il résulte de ses propres constatations que le décor des affiches publicitaires constituait une mise en scène destinée à valoriser le whisky de la marque, en associant des éléments de nature à lui donner une image séduisante, éléments étrangers à la stricte indication de l'origine du produit, de sa composition et de son mode d'élaboration.  

La publicité en faveur de l'alcool est autorisée, sous forme d'affiche notamment, dans les seules conditions strictement et limitativement définies par l'article L. 3323-4 du code de la santé publique, qui n'autorise que l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit.  

En l'espèce, les trois affiches litigieuses avaient été réalisées par le dessinateur de la célèbre bande dessinée « Black et Mortimer » pour la marque de whisky irlandais Jameson. Cette série d'affiches représentait des hommes vêtus comme au 18e siècle, chaque affiche montrant une bouteille habillée de l'étiquette de la marque, au dessus de laquelle il était inscrit « Jameson l'Irlandais ». L'homme représenté sur la première, censé être John Jameson, fondateur de la marque et de la première distillerie à cette époque, regardait un voilier sortir du port de Dublin, debout à côté de tonneaux portant le nom de la capitale de l'Irlande. Sur la deuxième, le même homme se trouvait dans une distillerie, accompagné d'un autre homme, tous deux occupés à observer le contenu d'un verre. La troisième affiche représentait les mêmes personnages, cette fois dans une cave au milieu de fûts marqués « John Jameson 1780 ».  

L'ANPA (Association Nationale de Prévention de l'Alcoolisme) avait fait citer du chef de publicité illicite les présidents de la société concessionnaire des emplacements publicitaires et de la société Ricard, lesquels ont finalement été relaxés par le tribunal correctionnel de Paris. Elle fut également déboutée en sa qualité de partie civile par le même tribunal le 24 janvier 2005 puis par la cour d'appel de Paris le 25 novembre 2005, tous deux ayant considéré que les publicités en question n'étaient pas illicites dès lors qu'elles se rapportaient directement et exclusivement aux indications limitativement prévues par la loi. Non satisfaite de cette décision, l'ANPA s'est pourvu en cassation faisant alors valoir que les publicités ne se bornaient pas à indiquer les seules mentions autorisées par l'article L. 3323-4 du code de la santé publique mais qu'elles constituaient de véritables mises en scène destinées à « valoriser le produit » et à « suggérer l'envie du produit ». L'association soutenait à cet effet que l'on pouvait douter de la vocation du message publicitaire à renseigner le consommateur sur l'origine et la composition du produit dès lors que les affiches ne comportaient même pas une quelconque information sur sa composition, son mode de consommation, son degré volumique d'alcool, ou encore le nom et l'adresse du fabricant ou des agents dépositaires.  

La Cour de cassation s'est prononcée en faveur de l'association demanderesse dans l'arrêt ici commenté en jugeant, au visa de l'article L. 3323-4 du code de la santé publique, que la cour d'appel n'avait « pas justifié sa décision au regard du texte susvisé ». Selon la chambre criminelle, le produit était représenté par des « éléments étrangers à la stricte indication de l'origine du produit, de sa composition et de son mode d'élaboration ». Pour la Cour de cassation, les éléments de la publicité doivent donc se rattacher directement et exclusivement aux indications énumérées limitativement dans l'article L. 3323-4 du code de la santé publique. Mais n'était-ce pas également ce qu'avait décidé la cour d'appel ? A propos d'un même visuel, la cour d'appel considère que la publicité se rattache directement et exclusivement aux indications énumérées limitativement par la loi alors que la Cour de cassation considère le contraire. Pour la cour d'appel, il est possible de parvenir à des créations licites dès lors que chacun des éléments de la publicité peuvent être rattachés aux indications autorisées par la loi. Pour la Cour de cassation, la création n'est licite que si ces mêmes éléments se rapportent strictement aux indications autorisées (1). La question est donc de savoir si chacun des éléments de la publicité est justifié au regard de la loi, ce qui implique vraisemblablement une appréciation des juges au cas par cas.  

Il est évidemment très raisonnable de faire passer la protection du consommateur avant les désirs créatifs des annonceurs. Mais ici, la restriction est importante. En se préservant d'une éventuelle interprétation extensive qui pourrait être faite de l'article L. 3323-4 au nom d'une certaine liberté de création, la Haute juridiction est véritablement intraitable. La cour d'appel rappelait que la condition selon laquelle la publicité devait être faite sur fond neutre avait été supprimée par le Sénat à l'occasion des débats parlementaire, « au motif qu'un fond neutre ne laisserait guère de place à l'imagination créative des publicitaires ». On peut se demander si l'interprétation de la Cour de cassation laisse encore une place à cette imagination créative. A sa décharge, notons tout de même qu'elle respecte parfaitement l'esprit de la loi. En effet, Philippe Douste-Blazy, à l'origine de l'amendement au projet de loi aménageant la loi Evin et alors Ministre de la Santé, avait précisé que « fidèlement à la loi Evin, [il avait] voulu restreindre les possibilités d'expression des annonceurs au seul produit et à ses qualités objectives ». L'amendement avait été adopté le 20 janvier 2005 par le Sénat en deuxième lecture et revenait sur l'assouplissement de la loi Evin qu'avaient voté en les sénateurs première lecture, puis les députés en seconde lecture. Dans sa première version, l'amendement Douste-Blazy autorisait la mention des « caractéristiques sensorielles et organoleptiques ». Une version plus restrictive a finalement été retenue, en vertu de laquelle la publicité pourra « comporter des références relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ».  

Quoi qu'il en soit, la position de la Cour de cassation laisse penser que les mentions publicitaires autorisées devront être strictement descriptives et non pas suggestives ou attractives. Alors même que la publicité contient la mention de la marque du produit, et de son origine géographique (rappelons qu'en l'espèce la mention « Jameson l'Irlandais » figurait sur les trois affiches ce qui, selon la Cour d'appel, indiquait la marque du produit, qui est aussi le nom de son fondateur, et son origine géographique), elle devra se limiter à illustrer les seules mentions autorisées de sorte que le consommateur sera plutôt face à un document informatif que publicitaire. En l'espèce, les mentions autorisées étaient effectivement illustrées - ; la marque, son origine géographique et le mode d'élaboration du produit - ; mais ce que la Cour de cassation n'a pas admis ce sont les éléments de mise en scène illustrés par le célèbre dessinateur, mise en scène de nature à inviter à la consommation. En matière d'alcool, de toute évidence, une bonne publicité ne doit pas faire vendre !

(1) Dans le même sens : Civ. 2ème, 25 juin 1998, Bulletin 1998 II N° 228 p. 135 : Ayant constaté qu'une affiche en faveur d'une marque de whisky représentait un comptoir sur lequel sont posés une bouteille de whisky, trois verres à demi pleins ainsi qu'un verre servi par un barman tenant une bouteille du même whisky à la main, une cour d'appel retient exactement qu'un barman et un comptoir étant inclus dans l'affiche, les dispositions de l'article L. 18 du Code des débits de boissons qui énumèrent de manière limitative les éléments dont peut être composée une publicité ont été violées.