Si Internet, « conversation mondiale sans fin » selon la Cour suprême des Etats-Unis, sert de cause à la liberté d'expression, cet outil de communication ne fait pas exception à la nécessité de l'encadrer, voire de la limiter. Apparaît alors la difficulté majeure dès qu'il s'agit de réguler les droits et libertés : trouver le juste compromis entre de multiples principes ayant chacun leur propre légitimité (sécurité et autonomie de l'individu par exemple). Si l'équilibre est trouvé entre l'exercice de la liberté d'expression et sa régulation sur Internet, l'on pourra alors affirmer que la liberté d'expression y est garantie. En revanche, dans l'hypothèse où la censure prendrait le pas sur la régulation, il faudra alors lever les boucliers car, à la question « la liberté d'expression est-elle garantie sur Internet ? », la réponse sera « non ! ».
Introduction
La liberté d'expression fait partie des droits appelés « droits classiques » ou « droits de la 1ère génération ». Elle est en outre une liberté fondamentale dans la mesure où, d'une part, elle bénéficie d'une protection constitutionnelle1 et conventionnelle2, où d'autre part, elle est opposable à la loi et pas seulement à l'Administration et où enfin, produisant des effets juridiques dans les rapports entre particuliers et pas seulement entre particuliers et pouvoirs publics, elle a un effet horizontal.
La liberté d'expression se définit comme « la liberté de révéler sa pensée à autrui3 ». Les Révolutionnaires qui l'ont consacrée dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (article 11) ont tout de suite voulu lui donner une portée universelle en affirmant qu'il s'agit d'un « des droits les plus précieux de l'homme » et en énumérant tous les modes d'expression qui sont alors connus : tout citoyen peut « parler, écrire, imprimer librement ». Cet article 11 posait le principe d'une libre « communication » des « pensées et des opinions ». Ce n'est qu'avec la Déclaration universelle de 1948 que sera ajoutée la libre communication des « informations ». Avec Internet, nous sommes aujourd'hui face à un nouveau moyen de communication, non seulement par la technologie qui est mise en oeuvre mais aussi parce qu'il permet une communication mondialisée des idées, des opinions et des informations.
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a l'habitude de dire que « la liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique et vaut même pour les idées qui heurtent, choquent ou inquiètent » (CEDH, Handyside contre Royaume-Uni, 7 décembre 1976). Cela ne veut cependant pas dire qu'elle reconnaît un caractère absolu à cette liberté. Il faut en effet bien voir que l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CESDH), tout en posant le principe de la liberté d'expression et en inférant « la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir d'ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière », ne conçoit pas moins des limites à cette liberté. La liberté d'expression s'inscrit, en effet, dans un cadre aussi nécessaire dans une société démocratique que la liberté elle-même et a des exigences tant morales que juridiques.
Et si Internet, « conversation mondiale sans fin » selon la Cour suprême des Etats-Unis, sert de cause à la liberté d'expression, cet outil de communication ne fait pas exception à la nécessité de l'encadrer, voire de la limiter. Apparaît alors la difficulté majeure dès qu'il s'agit de réguler les droits et libertés : trouver le juste compromis entre de multiples principes ayant chacun leur propre légitimité (sécurité et autonomie de l'individu par exemple). Si l'équilibre est trouvé entre l'exercice de la liberté d'expression et sa régulation sur Internet, l'on pourra alors affirmer que la liberté d'expression y est garantie. En revanche, dans l'hypothèse où la censure prendrait le pas sur la régulation, il faudra alors lever les boucliers car, à la question « la liberté d'expression est-elle garantie sur Internet ? », la réponse sera « non ! ».
Dès lors, pour répondre à cette question, il conviendra d'examiner, d'une part, la mesure de la liberté d'expression sur Internet (1) et d'envisager, d'autre part, les moyens de la régulation de cette liberté (2).
1. La mesure de la liberté d'expression sur Internet
Dans le domaine de la protection des droits et libertés, la principale difficulté réside dans la conciliation de principes contradictoires et, à ce titre, la liberté d'expression n'est pas absolue, même sur Internet.
1.1. Internet au service de la liberté d'expression
Internet semble être un petit paradis pour la liberté d'expression, paradis consciencieusement gardé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Un système de protection des droits et libertés des plus efficaces a, en effet, été mis en place dès 1950, instituant la Cour européenne des droits de l'homme. Si la Cour ne prononce que des arrêts déclaratoires, ceux-ci ont néanmoins une portée réelle, ce qui permet de penser que l'idéal d'harmonisation de la protection des droits et libertés en Europe, voulu à travers la rédaction de la Convention, a été atteint. En France, les juridictions nationales ont bien conscience de ce que, si une règle ou une procédure nationale a été jugée contraire à la Convention dans une affaire quelconque, le non-respect par elles de la décision de la Cour de Strasbourg emporte, d'une part, sa condamnation à chaque fois que la règle ou la procédure litigieuse aura été appliquée en France à un justiciable et d'autre part, l'engagement de sa responsabilité internationale du fait de la méconnaissance des stipulations de la Convention.
1.1.1. Exercice facilité de la liberté d'expression sur Internet
Malgré quelques effets pervers, notamment quant aux questions de la fiabilité de l'information et du risque de surinformation, Internet facilite nettement la liberté d'expression. On a, en effet, pu assister au fort développement, non seulement de l'autopublication, mais aussi des blogs et journaux intimes en tout genre. Dans un registre plus politique, le web a aussi offert une nouvelle tribune aux militants d'associations de défense des droits de l'homme et est apparu comme un outil précieux dans les pays où la liberté d'expression est menacée4.
Internet a également favorisé la pluralité de l'information dans la mesure où les sources de l'information se sont largement diversifiées. Du fait de cette concurrence livrée sur le web aux médias traditionnels, on a pu voir émerger trois degrés de diffusion de l'information remettant ainsi en cause la suprématie de ces médias en matière d'information. Le premier degré de diffusion est occupé par la communication directe, sans filtre, qui tient du journalisme sauvage. Vient ensuite la diffusion de contenus sur le seul web par des organismes décidés à appliquer les règles du journalisme. Et l'on retrouve enfin la diffusion de l'information sur le web par des organes de presse traditionnels qui se sont pourvus d'une extension électronique5.
Certains obstacles du « monde réel » peuvent aussi être contournés dans le « monde virtuel ». On se souvient du Docteur Gubler, médecin de François Mitterrand, qui avait publié un ouvrage dans lequel il révélait des informations sur la maladie de l'ancien Président de la République. Alors que le livre avait été interdit à la publication, il fut numérisé et mis en ligne sur Internet6.
1.1.2. Le système de protection le plus abouti de la liberté d'expression : la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
La liberté d'expression semble avoir trouvé son terrain de prédilection sur Internet et bénéficie du système de protection le plus abouti existant aujourd'hui, celui de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Il revient, en effet, à la Cour européenne des droits de l'homme de statuer sur des plaintes pour violation des droits de l'homme commise par un Etat membre, ces plaintes pouvant être formées par d'autres Etats membres mais aussi par des particuliers. Aux termes de l'article 41 de la CESDH, la Cour européenne condamne l'Etat coupable de violation de la Convention à donner une « satisfaction équitable » à la victime qui consiste en une indemnité que l'Etat doit verser au requérant.
Ce sont principalement certaines dispositions de la Convention qu'il convient de garder à l'esprit s'agissant de la liberté d'expression : les articles 9, 10 et 11 et l'article 2 du protocole additionnel du 20 mars 1952. De ces différentes dispositions, celle qui intéresse spécialement la liberté d'expression est l'article 10. Cet article distingue entre les opinions professées dans le for intérieur de l'individu et les discours, actes de langages et actes non langagiers (gestes et mimiques). Il s'applique aussi bien aux discours politiques qu'à des discours artistiques ou littéraires, voire à des discours publicitaires et commerciaux. L'article 10 est à l'origine d'une jurisprudence abondante de la Cour européenne des droits de l'homme mais aussi ambivalente car libérale dans certains cas et pas dans d'autres.
1.2. La relativité de la liberté d'expression
La liberté d'expression n'échappe pas plus que d'autres à certaines limites, limites qui doivent être « nécessaires dans une société démocratique » et « prévues par la loi ». Mais sur Internet, la multiplicité d'acteurs privés fait parfois oublier que c'est aux pouvoirs publics qu'il revient de sanctionner les conséquences dommageables de l'usage de la liberté d'expression.
1.2.1. La soumission de la liberté d'expression à certaines limites
Le § 2 de l'article 10 de la CESDH dispose que l'exercice de la liberté d'expression emporte des « devoirs et des responsabilités », qu'ainsi elle peut être soumise « à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire». Les mesures restrictives prises en application de la loi doivent être proportionnées à l'intérêt à protéger. La liberté d'expression - pas plus d'ailleurs qu'aucune autre liberté - n'a donc pas un caractère absolu. Et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en témoigne puisqu'elle a admis des ingérences des pouvoirs publics dans un certain nombre d'opinions: les opinions et les représentations « obscènes »7, les opinions antisémites8 et racistes9, les opinions homophobes ou sexistes, les opinions susceptibles de mettre en cause l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire10, les opinions portant dénigrement, critique ou détournement des croyances religieuses, les attaques injurieuses contre des objets de vénération religieuse11.
Internet n'est pas seulement un espace de libertés mais aussi un espace de responsabilité, espace qui ne diffère pas par nature du monde physique. Gardons à l'esprit que la liberté d'expression est aménagée sous la forme d'un régime répressif puisque son exercice ne demande pas le consentement préalable de l'Administration ou du juge, et puisque le droit positif ne s'attache qu'aux mauvais usages, aux abus de la liberté d'expression, en laissant le soin au juge de les sanctionner (contrairement à un régime préventif qui impose une autorisation préalable à l'exercice d'une liberté). En tant que gardien des droits et libertés, le juge a donc toute légitimité à intervenir.
1.2.2. Les dangers d'une « justice privée » pour la liberté d'expression
Bien qu'on ne doive pas se faire justice à soi-même, quand un problème surgit sur le réseau le juge n'est pas toujours le premier à y mettre bon ordre. Un internaute peut, en effet, être expulsé d'une liste de discussion dès lors que ses propos sont hors sujet par rapport au thème abordé. Ce n'est que s'il considère que cette mesure est injustifiée qu'il pourra alors aller devant le juge.
Les rôles ne doivent pas se confondre. Le risque de confusion apparaît dès lors que l'on prône le filtrage par des acteurs privés (comme, par exemple, lorsque les fournisseurs d'accès ont une obligation de filtrage12). Dès lors qu'il s'agit de prendre des mesures concrètes, le juge joue un rôle capital, et le caractère illicite du contenu d'un site appelle une riposte proportionnelle à la gravité du trouble.
2. La régulation de la liberté d'expression sur Internet
Puisque la liberté d'expression est organisée sous la forme d'un régime répressif, c'est au juge judiciaire de sanctionner la méconnaissance de ses limites. Mais ce régime répressif assure-t-il le respect de la liberté d'expression ? C'est finalement la jurisprudence de la Cour de cassation qui a véritablement permis de garantir la préservation de la liberté d'expression sur Internet.
2.1. Les mesures ordonnées par le juge
Outre la réparation du préjudice et du prononcé d'une peine, le juge peut ordonner la cessation de la situation illicite. Il peut, ainsi, ordonner l'interdiction d'accès au site manifestement illicite ou condamner l'éditeur du site à modifier le contenu de celui-ci.
2.1.1. L'interdiction d'accès au site manifestement illicite
La célèbre « Affaire Yahoo ! » de 2000 illustre parfaitement la problématique. L'UEJF (Union des Etudiants Juifs de France) et la LICRA (Ligue Internationale contre le Racisme et l'Antisémitisme) avaient saisi le juge des référés pour que la société américaine Yahoo ! Inc. se voit ordonnée de cesser la vente d'objets nazis par son service d'enchères en ligne et de retirer de son service d'hébergement le « Mein Kampf » d'A. Hitler et le « Protocole des Sages de Sion », ouvrages antisémites interdits à la publication en France. Le juge français, qui avait reconnu sa compétence au motif que le site était accessible en France, avait condamné Yahoo ! Inc. sous astreinte à filtrer l'accès au site illicite par les internautes français. Mais en 2002, une décision13 rendue aux Etats-Unis a considéré que la décision des juges français obligeant le portail à empêcher l'accès aux internautes français était contraire au Premier Amendement de la Constitution américaine proclamant le principe de la liberté d'expression14. En vertu de ce texte, le Congrès ne peut prendre aucune loi qui limite de quelque façon que ce soit la liberté d'expression. De toute évidence, le régime français et le régime américain divergent non seulement sur un plan juridique mais aussi culturel.
Revenons en France. La responsabilité de l'hébergeur serait engagée dès la connaissance effective de l'activité ou de l'information illicites s'il n'a pas agi promptement pour la retirer ou en rendre l'accès impossible (articles 6-I-2 et 6-I-3 de la LCEN). La suppression de la référence à la saisine d'une autorité judiciaire évoquerait alors le recours à une forme de justice privée, aux mains des hébergeurs, incités si ce n'est à la censure, tout au moins au filtrage, pour ne pas s'exposer à la mise en cause de leur responsabilité. Ici la critique s'effrite puisque n'a finalement été visé que le manifestement illicite15. Le problème se pose également quand le législateur consent au juge des référés la possibilité de prescrire aux fournisseurs d'accès « toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne » (article 6, I-8 de la LCEN). Dans l'affaire AAARGH (Association des Anciens Amateurs de Récits de Guerre et d'Holocauste), le Tribunal de grande instance de Paris avait même laissé le soin aux fournisseurs d'accès de choisir « toutes les mesures propres à interrompre l'accès » au site16.
Ainsi, seul le juge doit avoir qualité pour apprécier le caractère illicite d'un message, surtout dans desaffaires aussi délicates que des actions en diffamation, en contrefaçon ou en atteinte à la vie privée. Par contre, l'hébergeur ou le fournisseur d'accès doivent pouvoir être mis en cause s'ils n'ont pas immédiatement réagi à la connaissance d'un contenu manifestement illicite, tel un site pédophile ou incitant à la discrimination ou à la haine raciale.
2.1.2. L'obligation de modifier le contenu d'un site
Il s'agit d'une mesure souple qui consiste en la correction ou à la suppression des informations présentant un caractère illicite. La mesure radicale est l'interdiction de l'accès au site, voire la suppression de l'hébergement. La mesure est radicale mais par forcément définitive puisque le site peut renaître sous une autre appellation.
Le juge devra tout de même privilégier, dans la mesure du possible, la suppression des seuls propos illicites. Une cour d'appel a rappelé dans un arrêt du 31 octobre 2001 que « si, dans l'exercice de ses prérogatives, le juge des référés est tenu de concilier le respect des droits de la personnalité avec le principe à valeur constitutionnelle de la liberté d'expression, il a en l'espèce justement limité son intervention à ce qui était strictement indispensable à la cessation du trouble constaté en prononçant, non une interdiction générale de publication, mais en autorisant la poursuite de celle-ci sous réserve de la suppression de l'image litigieuse qui pouvait être matériellement réalisée sans empêcher la cohérence de l'ouvrage et la reprise de sa commercialisation »17.
2.2. L'œuvre de la Cour de cassation pour la préservation de la liberté d'expression sur Internet
La Cour de cassation a oeuvré pour la préservation de la liberté d'expression sur Internet à travers, notamment, sa jurisprudence sur la courte prescription et sur la primauté de la loi de 1881 sur l'article 1382 du Code civil.
La Cour de cassation a oeuvré pour la préservation de la liberté d'expression sur Internet à travers, notamment, sa jurisprudence sur la courte prescription et sur la primauté de la loi de 1881 sur l'article 1382 du Code civil.
2.2.1. La courte prescription appliquée à Internet
Il est fait application sur Internet de la prescription courte de l'action judiciaire prévue par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 qui dispose que l'action publique et l'action civile résultant des infractions prévues par cette loi se prescrivent après trois mois révolus à compter du jour où elles ont été commises. Ce délai permet de garantir un certain équilibre entre liberté de presse, droit des personnes et ordre publique. Les juges et la doctrine avaient hésité entre faire courir le délai de prescription au jour de la mise en ligne du document ou au jour où celui-ci a été retiré du serveur. Dans le premier cas, les contenus litigieux risquent de subsister alors que dans le second les infractions sont imprescriptibles tant que les informations litigieuses sont en ligne. La Cour de cassation a tranché en faveur de la liberté d'expression18 : le point de départ du délai correspond au premier acte de publication, précision faite que cette date est « celle à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs du réseau ». L'exercice de la liberté d'expression et, plus précisément, de la liberté de presse ne souffre donc pas d'un régime dérogatoire sur Internet.
La loi Perben II du 9 mars 2004 a tenté de répondre au problème qu'avait pu soulever cette courte prescription liée à la persistance des propos racistes ou xénophobes puisque le délai a été porté à un an pour les infractions de provocation à la haine, à la discrimination et à la violence raciale, de contestation de crime contre l'humanité, de diffamation de nature raciale ou d'injure de nature raciale (art. 65-3 de la Loi du 29 juillet 1881). Mais comme la loi du 30 décembre 2004 n'a pas inséré à l'article 65-3 de référence à l'appartenance sexuelle, à l'orientation sexuelle ou au handicap, c'est le délai de trois mois qui s'applique en la matière.
2.2.2. Exclusion de l'article 1382 du Code civil en cas d'abus de la liberté d'expression réprimé par la loi du 29 juillet 1881
Afin d'éviter tout contournement des dispositions de la loi de 1881 favorable à la liberté de la presse, la jurisprudence19 ne permet pas à la victime d'une infraction de presse prévue par la loi de 1881 de demander réparation du dommage sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. Cette jurisprudence est sans aucun doute plus favorable à la liberté d'expression dans la mesure où il devient impossible de contourner les mesures dérogatoires au droit commun de la loi de 1881 qui ont été consacrées par celle-ci en faveur de la liberté d'expression.
Si les poursuites sur le fondement de l'article 1382 sont maintenant exclues, il n'en va pas de même pour l'article 9 du Code civil, le droit à la vie privée ayant apparemment la même valeur normative que le droit à la liberté d'expression20. La loi de 1881 n'est donc pas le fondement exclusif contre les abus de la liberté d'expression puisque ces abus, quand ils portent atteinte à la vie privée, peuvent être réparés sur le fondement de l'article 9 du Code civil21.
La liberté d'expression restera garantie sur Internet tant que des considérations sécuritaires ne viendront pas y imposer un régime dérogatoire. Il faut donc rester vigilant. Gardons à l'esprit les paroles du Sénateur Pierre Hérisson, co-rapporteur du projet de loi lors de la première lecture de la LCEN au Sénat : « la liberté est la règle, la restriction de police l'exception ».
1. La liberté d'expression fait partie du bloc de constitutionnalité. Elle est garantie par l'article 1er de la Constitution et a été reconnue comme ayant valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel (CC, 20 janv.1984, Libertés universitaires : GDCC).
2. Articles 9, 10 et 11 de la CESDH et l'article 2 du protocole additionnel du 20 mars 1952.
3. Gilles Lebreton, Libertés publiques et droits de l'homme, Armand Collin, coll. U Droit public, 2005, p. 372.
4. L'association Reporters sans frontières a établi une « liste des 13 ennemis d'Internet » à travers le monde <http://www.rsf.org/article.php3?id_article=19601>;.
5. Sur ce sujet, voir Agathe Lepage, Libertés et droits fondamentaux, Litec 2002, § 78-90.
6. Claude Gubler, Le grand secret, Éditions Plon, Paris, 1996.
7. CEDH, Handyside contre Royaume-Uni, 7 décembre 1976 ; CEDH, Müller contre Suisse, 24 mai 1988.
8. CEDH, Isorni et Lehideux contre France, 23 septembre 1998 ; CEDH, Garaudy contre France, 24 juin 2003.
9. CEDH, Jersild contre Danemark, 23 septembre 1994.
10. CEDH, Sunday Times contre Royaume-Uni, 26 avril 1979 (interdiction d'articles de presse à paraître et
tendant à révéler des informations intéressant un procès en cours).
11. Voir dans ce sens : CEDH, Murphy contre Irlande, 10 juillet 2003 ; CEDH, Otto Preminger Institut, 20
septembre 1994 ; récemment confirmé par : CEDH, I.A. contre Turquie, 13 septembre 2005 ; contra : TGI Paris, Affaire des « caricatures de Mahomet », 22 mars 2007 : par un raisonnement casuistique, le TGI relaxe le directeur de la publication de Charlie Hebdo.
12. CA Paris, 4 nov. 2006, Affaire AAARGH, disponible sur Juriscom.net <http://www.juriscom.net/jpt/visu.php?ID=866>; : La juridiction d'appel a confirmé l'obligation de filtrage des FAI qui devront donc empêcher l'accès au site révisionniste AAARGH, hébergé à l'étranger.
13. United-States district Court for the Northern District of Californi, San Jose Division, 7 nov. 2002.
14. Daniel Arthur Laprès, « Affaires Yahoo ! (I et II) et Al Manar : l'approche universaliste confirmée deux fois », Juriscom.net <http://juriscom.agat.net/pro/visu.php?ID=697>;.
15. CC, Déc. N° 2004-496 DC, 10 juin 2004, JO 22 juin, p. 11182. Sur la notion de manifestement illicite, lire : Lionel Thoumyre, « Comment les hébergeurs français sont devenus juges du manifestement illicite », Juriscom.net <http://www.juriscom.net/int/visu.php?ID=561>; ; Etienne Wery, « La notion de contenu manifestement illicite soumise au juge des référés », Droits & Nouvelles Technologies <http://www.droit- technologie.org/1_2.asp?actu_id=1243>.
16. TGI, référé, 13 juin 2005, disponible sur Juriscom.net <http://juriscom.net/jpt/visu.php?ID=717>; ; confirmé par CA Paris, 24 nov. 2006, op. cit. note 12.
17. CA Paris, 14ème ch., sect. A, 31 octobre 2001.
18. Crim., 16 oct. 2001, n°00-85.728 : Bull. crim., n°211, p 676, disponible sur Juriscom.net
<http://juriscom.net/jpt/visu.php?ID=312>;. Confirmé par Crim., 27 nov. 2001, n° 01-80.134 (Affaire Costes), disponible sur Juriscom.net <http://www.juriscom.net/jpt/visu.php?ID=315>;.
19. AP 12 juillet 2000. Réaffirmé à plusieurs reprises, et dernièrement par Civ. 1ère, 27 sept. 2005 : v. not. E. Dreyer, « Disparition de la responsabilité civile en matière de presse », D. 2006, doct. p. 1337.
20. Civ. 1ère, 9 juillet 2003, arrêt « Chandernagor » : Bull. civ. I, n° 172 ; D. 2004, som. 1633, obs. Ch. Caron.
21. Civ. 1ère, 7 fév. 2006 : Bull. I, n° 59, p. 59 ; Gazette du Palais, 27-28 avril 2007, p. 26.
Edité sur le site Juriscom.net le 06/06/2007