mardi 20 septembre 2011

Responsabilité du blogueur pour les propos publiés par les internautes sur son forum de discussion

Saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), portant sur la conformité de l’article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle[1] aux droits et libertés garantis par la Constitution, le Conseil constitutionnel a considéré cet article conforme à la Constitution (déc. n°2011-164, QPC du 16/09/2011).

Cette QPC concerne principalement les animateurs de blogs qui ouvrent un forum de discussion et peuvent ainsi voir leur responsabilité pénale engagée pour les contributions d’internautes dont ils n’ont pas nécessairement la maitrise.

L’article 93-3 pose un principe de la responsabilité « en cascade » sur Internet qui a pour objet de recherche en premier lieu la responsabilité du directeur de la publication, puis, à défaut, celle de l’auteur du message, puis, à défaut, celle du producteur.

Le directeur de la publication bénéficie néanmoins d’un régime de responsabilité spécifique. En effet, la loi du 29 juillet 1982 pose deux atténuations à la responsabilité du directeur de la publication puisque celui-ce ne pourra voir sa responsabilité engagée que si « le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public » (i.e. si le message incriminé, publié sur un forum de discussion, est soumis au contrôle d’un modérateur) et « s'il est établi qu'il n'avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message ».

Le producteur d’un site internet, notamment d’un blog, est défini par la jurisprudence de la Cour de cassation comme celui qui a « pris l’initiative de créer un service de communication au public par voie électronique en vue d’échanger des opinions sur des thèmes définis à l’avance » (Cour de cassation, chambre criminelle, 16 février 2010, n°09-81064).

Selon le requérant (M. Antoine J.), ces dispositions créent une présomption de culpabilité à l’encontre du producteur d’un service de communication au public en ligne en le rendant responsable de plein droit des messages diffusés dans un espace de contributions personnelles dont il est « l'animateur », même s'il en ignore le contenu. Ces dispositions méconnaîtraient, selon lui, le principe d'égalité devant la loi pénale en traitant différemment, sans justification, le directeur de la publication et le producteur sur internet.

Rappelant la jurisprudence de la Cour de cassation du 16 février 2010 (n° 09-81064 et n° 08-86301), le Conseil constitutionnel a considéré qu’il résulte des dispositions de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 « que la personne qui a pris l'initiative de créer un service de communication au public en ligne en vue d'échanger des opinions sur des thèmes définis à l'avance peut être poursuivie en sa qualité de producteur ; que cette personne ne peut opposer ni le fait que les messages mis en ligne n'ont pas fait l'objet d'une fixation préalable ni l'absence d'identification de l'auteur des messages ».

Selon le Conseil constitutionnel « le créateur ou l'animateur d'un tel site de communication au public en ligne peut voir sa responsabilité pénale recherchée, en qualité de producteur, à raison du contenu de messages dont il n'est pas l'auteur et qui n'ont fait l'objet d'aucune fixation préalable ; qu'il ne peut s'exonérer des sanctions pénales qu'il encourt qu'en désignant l'auteur du message ou en démontrant que la responsabilité pénale du directeur de la publication est encourue ».

Toutefois, le Conseil constitutionnel a assorti la disposition contestée d’une « réserve d’interprétation », considérant que « compte tenu, d'une part, du régime de responsabilité spécifique dont bénéficie le directeur de la publication en vertu des premier et dernier alinéas de l'article 93-3 et, d'autre part, des caractéristiques d'internet qui, en l'état des règles et des techniques, permettent à l'auteur d'un message diffusé sur internet de préserver son anonymat, les dispositions contestées ne sauraient, sans instaurer une présomption irréfragable de responsabilité pénale en méconnaissance des exigences constitutionnelles précitées, être interprétées comme permettant que le créateur ou l'animateur d'un site de communication au public en ligne mettant à la disposition du public des messages adressés par des internautes, voie sa responsabilité pénale engagée en qualité de producteur à raison du seul contenu d'un message dont il n'avait pas connaissance avant la mise en ligne ».

Autrement dit, le législateur ne peut pas instituer de présomption irréfragable de responsabilité. L’animateur d’un site de discussion en ligne (par exemple, un blogueur qui ouvre un forum de discussion non modéré) ne verra pas sa responsabilité engagée pour des propos dont il n’a pas eu connaissance avant leur mise en ligne s’il a agi promptement après que l’existence de contenus illicites ait été portée à sa connaissance.

A toutes fins utiles, il est précisé que la jurisprudence considère que les propos illicites doivent être retirés le jour même de la réception de la notification (TGI Toulouse, 13/03/2008, KrimK., Pierre G., Amen).


[1] L’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 transposait, dans le champ de la communication audiovisuelle, le régime de responsabilité dite « en cascade » prévu par l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. L’article 93-3 a ensuite été modifié par l’article 2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, le rendant ainsi applicable à internet. La dernière modification de l’article 93-3 résulte de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (loi « HADOPI I ») qui a ajouté un alinéa spécifique à la responsabilité du directeur de publication d’un site Internet.