lundi 30 janvier 2012

Sourds en prison : une double peine. Par Caroline Draussin


Caroline Draussin est psychologue du développement, en formation à l'ECF. Elle exerce en libéral ainsi qu'en gérontologie et dans un CAMSP spécialisé surdité. 

J'ai souhaité lui laisser la parole sur ce blog afin qu'elle nous expose les bases du travail d'un groupe de réflexion autour du thème "sourds et prison".

La problématique de la surdité en France est d’actualité : les débats sur le diagnostic précoce révèlent l’invisibilité des sourds, encore désignés « sourds-muets », la méconnaissance de cette déficience mais surtout de ses conséquences, de la culture des Sourds ainsi que de la langue des signes – souvent nommée à tord le langage des sourds, allant à l’encontre de toutes les définitions de ce qu’est la langue des signes. Indépendamment, la prison pose question, notamment aux professionnels de la loi et de la justice : elle questionne en tant que telle, comme débat philosophique et éthique : à quoi sert la prison ? Comment réfléchir à un autre mode de sanction légale ? Elle dérange également à cause des modes de détention (surpopulation, déshumanisation, hygiène). 

Lorsque que l’on évoque les sourds en prison, la discussion tourne à la tempête. Premier bilan : aucun chiffre, aucune certitude, à part une inadaptation flagrante (révoltante ?) des modes de communication en lien avec la justice et des règles de « vie » en prison (absence d’interprète, d’accessibilité aux soins et à l’information). Cela donne des récits de vie catastrophiques, des personnes sourdes  emprisonnées sans qu’elles aient compris pourquoi, sans qu’il leur soit expliqué les règles de la prison et donc punies, parfois à l’isolement, lors d’écarts de conduite non compris come tels.

Il y aurait aujourd’hui une soixantaine de sourds en prison[1]. Ce chiffre n’est pas fiable. Tout comme celui de l’illettrisme dans la population sourde. Près de 80% de sourds seraient illettrés. Ce chiffre datant de 1998[2], où l’on parle minitel, COTOREP et dépenses en francs, n’a jamais été réétudié. La prudence statistique y est pourtant déjà requise. Cette absence de chiffres démontre un désintérêt global.

Depuis quelques mois, certains professionnels se sont emparés de la problématique des sourds en prison et ont créé un groupe de travail. L’instigatrice en est Anne-Sarah Kertudo, juriste et responsable d’une permanence juridique pour les sourds à la mairie du IXème à Paris[3]. Ce groupe rassemble des juristes, des avocats (dont Benoît David de l’association ban public[4]), des interprètes français-LSF, des éducateurs, des philosophes et des professionnels de la surdité, qu’ils soient sourds ou entendants. La question du handicap comme conséquence sociale y est prégnante. La conclusion de la double peine pour les personnes sourdes y est évidente. Il est souvent rétorqué aux personnes se battant pour de meilleures conditions de détention que la prison n’a pas la fonction d’un hébergement « agréable ». Mais la déshumanisation en est-elle le but ? Comment défendre une sanction pénale que le premier intéressé, la personne sourde incarcérée, ne comprend pas ? Comment comparer la défense des droits humains à une tentative de rendre la prison luxueuse ?

Le but de cette réflexion et du groupe de travail n’est pas nécessairement le combat pour des statistiques révélatrices de la réalité ou un débat en faveur de la langue des signes. Il me semble que l’intérêt est d’abord de dénoncer. Ensuite, de faire changer l’inacceptable. Pour cela, il faut faire prendre conscience de la situation : qu’il y ait 60 sourds en prison - ou pas - qu’il y ait 80% d’illettrés parmi eux - ou non -, la justice et l’équité ne peuvent être garanties dans les conditions actuelles. Mais au-delà, c’est toute la condition des Sourds dans notre société qui doit être réfléchie et donc notre rapport à la différence et à l’autre, qu’il soit délinquant ou pas.



C.D.

1 commentaire:

  1. Bonjour,
    Comme vous le soulignez, la première injustice pour la personne sourde est "de ne pas comprendre ce qui lui arrive".
    Pour les sourds, l'accès à la justice reste difficile, faute notamment d’une utilisation appropriée des interprètes en langue des signes française.
    Ainsi, la Cour procède quelquefois aux nominations pour suppléer à un besoin urgent, sans contrôler réellement les compétences des personnes désignées.
    Les interprètes en langue des signes étant peu nombreux, souvent le juge soulagé d’avoir “sous la main” un individu qui croit savoir signer le désignera illico pour traduire l’audience.
    C’est ainsi qu’on voit de soi-disant interprètes parvenant difficilement à aligner trois signes, d’autres pour moins se fatiguer attendant la fin des plaidoiries pour en faire un résumé en langue des signes au prévenu sourd, d’autres encore épuisés après une matinée à traduire s’octroyant des pauses tandis que les débats continuent et donc laissant la personne sourde seule, sans parler de ceux qui interviennent durant les interrogatoires pour “aider” la personne sourde à répondre…
    Bref des intervenants qui n’ont ni le niveau technique ni la connaissance du Code déontologique des interprètes en LSF qui leur assureraient une bonne pratique de ce métier.
    Autre difficulté pour les interprètes, qui sont nommés “experts près les cours d’appel”, ils sont désignés sans la moindre directive concernant leur fonction, l’organisation et l’aménagement de leur travail. Ils doivent même batailler sans fin pour parvenir à se faire payer une fois la prestation effectuée.
    Chacun doit se débrouiller et il faut bien souvent improviser, les différents intervenants (avocats, magistrats…) n’ayant, bien sur, qu’une faible voire inexistante connaissance des contraintes liées à notre profession.
    Par ailleurs, suivant la configuration des salles d’audience, on se trouve souvent dans une ambiance chaotique avec des mouvements perpétuels d’avocats, d’huissiers, de policiers… Parfois nous sommes placés loin du prévenu ou à l’inverse à distance du magistrat du siège ou du ministère public, rendant la compréhension des propos difficile voire impossible.
    Un exemple : les magistrats n’ayant pas l’habitude de travailler avec un interprète n’appréhendent pas la difficulté de son intervention. Ils donnent ainsi lecture de longs passages saturés d’articles du code sans laisser nous laisser le temps matériel de saisir les informations et de les transmettre à la personne interrogées. Les articles de loi sont souvent rédigés de façon alambiquée mais quand en plus ils sont lus à la vitesse de 250 mots à la minute les traduire intégralement et fidèlement devient mission impossible.

    Du coté des experts interprètes/traducteurs il y a aussi des manques. Si certains ont pu suivre des formations ou acquérir sur le tas des connaissances sur les procédures juridiques bien peu ont l’expérience du terrain et une connaissance suffisante des mécanismes judiciaires qui leur permettraient de mieux appréhender et donc traduire le déroulement des audiences.

    Stéphan
    Interprète français/LSF (diplômé bien sur).
    http://www.interpretelsf.fr

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